#1 Hypo

Publié le par m_p


presshypo_portrait_1BD.jpgQuel lien faites-vous entre musique et politique ?
La musique, comme l'art en général, est politique. Tout travail artistique soulevant des questions d'ordre esthétique, implique généralement une pensée politique plus globale, même si l'œuvre n'est pas explicitement politique. Faire de l'art, c'est se positionner. Et même si je n'ai jamais parlé de politique dans mon travail, j'estime qu'on peut facilement comprendre que celui-ci interroge, critique ou tourne en dérision les systèmes de pensée de la musique, eux-même reliés à des phénomènes sociaux, commerciaux, médiatiques et donc forcément politiques. De ce fait, même une musique instrumentale sans titre peut être politique.
Cependant, les arts actuels ne semblent plus (se) poser beaucoup de questions. Et c'est assez explicable, je crois, par plusieurs phénomènes : d'une part, nous subissons actuellement le retour de bâton de la révolution numérique, qui, si elle avait posé pas mal de questions dès le début des années 1990, est aujourd'hui totalement assimilée et digérée. Tous les artistes qui questionnaient les failles de l'ordinateur comme les gens du label
Mego, Oval et bien d'autres ont été assimilés par la masse. Leur questionnement de l'erreur informatique est devenu une esthétique comme les autres et aujourd'hui Britney Spears met des "clics" et des "cuts" dans ses tubes. D'autre part nous vivons une époque très légère : dans les musées comme dans les salles de concert, c'est le "fun" qui prime, on n'attend plus des artistes qu'ils soient des vecteurs de réflexion mais de simples amuseurs. Des entertainers. Il y a même une certaine dictature de l'entertainment. Une sorte de "Amuse-nous ou crève!". Avec la destitution de la musique enregistrée (devenue gratuite donc trop facile d'accès pour qu'on y attache la moindre valeur), le "live" est de retour et avec lui, la performance. Le performer remplace l'artiste. Et le performer n'a pas besoin de penser sa musique mais simplement son show. Il se doit d'être un show man, c'est tout. C'est une catastrophe pour des gens qui, comme moi, aiment et envisagent la musique comme une œuvre enregistrée. De plus, cette légèreté généralisée a définitivement évincé l'ironie au profit du cynisme. La musique n'a jamais été aussi sérieuse qu'aujourd'hui alors que tout n'est qu'affaire de poseurs. L'ironie qui était très présente dans la musique électronique entre 1995 et 2000 (Warp, Rephlex, Sonig...) a totalement disparue. Et à juste titre puisque aujourd’hui, l'ironie n'a plus sa place. Il y a 10 ans, ironiser revenait à critiquer de manière très efficace. Mais c'est aujourd'hui devenu un exercice impossible car rien de "critique" ne choque plus personne. James de V/Vm me disait, il y a quelques semaines, qu'il se considère aujourd’hui au chômage ! Et à juste titre : comment pourrait-on ironiser sur un système qui a finalement digéré ceux qui le remettaient en question ? Un système qui a réussi à neutraliser ses opposants en faisant croire au monde entier qu'il leur donne la parole, voire qu'il les soutient dans leur droit à l'opposition ! (ça ne vous rappelle rien ??...) C'est également ce qui s'est passé en Fnac : ils ont viré 95% des indépendants de leurs magasins tout en continuant à baser leur communication sur "le soutien aux indépendants". Des indépendants bidon et fabriqués par des chefs de produits dignes de la Star Ac, et des labels indés bidons qui, quand ils ne sont pas des sous-divisions de majors, sont assez gros pour jouer dans la cour des majors. Même chose pour la presse qui est à la botte des majors. Tout le monde sait qu'une chronique s'achète, que les clés Télérama s'achètent....
Bref, le système artistique actuel n'a rien à envier au système politique.

Rock et capitalisme ?
Aujourd'hui, c'est la même chose. Ou alors je suis passé à côté des nouveaux Béru ?

La chanson dite « engagée » a-t-elle un sens aujourd'hui ?
Je n'en connais pas.

Croyez-vous en nos élites politiques ?
Non.

Êtes-vous démocrate ?
Dans l'absolu j'aimerais croire qu'il y a de la place pour tout le monde et surtout, j'ai envie d'écouter tout le monde... donc, oui, je dois être démocrate.

Vous sentez-vous de gauche ou de droite ?
Aux présidentielles, j'ai voté au centre au premier tour et à gauche au second. J’ai voté centriste parce que Bayrou était le seul à proposer une loi qui interdise aux grands groupes travaillant avec l’état de posséder des médias. Et qu’il proposait en plus de donner le droit de vote aux immigrés installés en France depuis plus de 10 ans et aussi le mariage gay.
Mais mes amis artistes de gauche radicale (j'en ai beaucoup) sont quelques fois un peu obtus et m'ont sans doute catalogué comme un mec de centre-droit. Ce que je ne pense pas être (ni de droite, ni de gauche, ni du centre). Je ne suis surtout pas un militant donc aucune chance que je prenne ma carte quelque part, que je me rende à une manif ou que je fasse la morale aux gens. Je n’ai plus la télé depuis plus de deux ans donc pendant la campagne présidentielle, j’ai sans doute échappé au pire de la politique people. Pour me faire mon avis, j’ai lu les programmes des trois personnes ayant une chance de passer : gauche, droite et centre. C’est tout. Je voulais avoir cette approche basique de l’acte de voter car c’était la première fois que je votais. D’ailleurs, ne devrions-nous pas nous en tenir à ça ? Un programme. Pas un homme ou un parti, mais plutôt un programme. N’est-ce pas le principal ?


Quelle a été votre évolution d'un point de vue des idées politiques ?
Comme je te dis, j'ai voté pour la première fois de ma vie à 34 ans. Avant ça, je pense que j'avais simplement la flemme.

Y a-t-il un événement, un personnage, un livre, qui vous ait « éveillé » au / à la politique ?
Pas vraiment. Peut-être le roman Ferdydurke, de Witold Gombrowicz, qui rend compte avec humour du procédé d'infantilisation de l'individu par la société.

Quel regard portez-vous sur l'histoire de France ?
Un regard assez neutre. J'aime l'histoire en général. L'histoire des peuples.

Que signifie être français, pour vous ?
Je ne vais pas sortir un couplet "citoyen du monde". C'est une belle idée mais il est très difficile de faire abstraction de sa culture. Je suis attaché à la démocratie, à la laïcité. Je ne suis pas particulièrement patriote, je ne suis pas prêt à donner ma vie pour mon pays. Je me sens français parce que je le suis. Je suis petit-fils d'immigrés belges et je me sens également un peu belge. Mon nom est belge.

Quelle est votre vision de la société de demain ? Quelle place pour quel humanisme ?
L'univers s'est passé de l'humain pendant plus de 13 milliards d'années et pourrait très bien s'en passer à nouveau sans problème. Je pense que tant que cette réalité ne sera pas rabâchée dans les écoles du monde entier, on n’avancera pas.

Pensez-vous que l'art infléchisse l'histoire ?
Actuellement, je dirais plutôt que l'histoire infléchit l'art.

Votre regard, vos commentaires, sur l'actualité en France, en Europe, dans le monde.

C’est pas brillant.



[www.hypomusic.net]

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N
Toujours de très bons interviews !
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H
et oui tu as bien raison ! Ikeda à la salle des fête de Dreux !(ma ville natale) Oui !!! Mais Ikeda avec buvette ! Alva Noto avec buvette et cigarettes ! Bordel ! Je suis desolé mais je ne sais pas être attentif plus de 20 minutes de suite dans un concert. Je ne suis pas du genre cocktail et quand je me fais chier, je me casse. Mais j'ai le souvenir de la premier soirée buro en 1998 (ça y est je suis un vieux con) avec les Farmers Manual au Garage (qu'est devenu cette salle parisienne?). C'etait un beau merdier abstrait avec buvette cigarettes...
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O
si par "néo classicisme de l’écoute contemplative de ces musiques" tu entends dire que ces musiques ne s'écoutent pas avec un cocktail à la main à la manière dont on peut écouter du jazz cool, on est bien d'accord. Ces musiques sont d'une autre exigence. Peut-être que vues depuis un musée d'art contemporain parisien ces musiques paraissent comme "euphémisées", peut-être que les spectateurs parisiens, blasés, baillent aux corneilles en se faisant chier sans comprendre ce qui leur arrivent dans la gueule, mais quand l'association au nom de laquelle je parle se ballade en pleine cambrousse en proposant un salon d'écoute de ce types de musiques, j'ai plutôt l'impression qu'on me prend pour un drôle de "fouteur de merde". L'impact est esthétiquement très fort pour les gens. Et d'une certaine façon, il est aussi politique. Personne ne reste indifférent. Ces musiques remuent beaucoup de choses à l'intérieur des gens. <br /> En sommes, je suis bien d'accord, le côté musée est un peu chiant. Il faut faire écouter ces musiques ailleurs. Mais, entre nous, si Alva Noto et consorts se produisent dans les musées, n'est-ce pas surtout parce qu'il n'y a pas de place ailleurs...?
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H
<br /> Olala ! Personne ne te demande d’être cynique ! Et je ne pense pas l’être. Ne pas confondre ironie et cynisme. Et je n’ai rien contre Jean Yves Leloup, bien au contraire, c’est quelqu’un qui a réellement soutenu les musiques électroniques en France et on lui doit de très bonnes programmations musicales dans beaucoup de lieux d’art contemporain. Et j’aime beaucoup le label Raster Noton, Ikeda, Pan Sonic, Touch et toutes ces scènes. Quant à Marclay, dont parle aussi Leloup, je suis et j’aime son travail depuis le milieu des années 90. Tout va bien donc. J’insiste seulement sur ma volonté de ne pas tomber dans un néo classicisme de l’écoute contemplative de ces musiques. Le côté " achitecture sonore " ou " cité des sciences " me fait un peu peur. C’est ce que j’entends par " clinquant ". Je préfère garder en tête que ces gens peuvent aussi être des fouteurs de merde avec leurs fréquences douloureuses, le détournement du matériel scientifique, la poésie qui découle d’une certaine vanité de leur travail (circuits fermés, disques durs en autarcie, programmes clairement présentés comme inutiles…). Je suis plus sensible à ces aspects. Amicalement.<br />
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O
Donc Alva Noto serait clinquant. Mouais, normal, quand on n'est pas obscur, on est clinquant, c'est logique. Et puis les thèses de Leloup serait clinquante, elle aussi. Pourtant, dire que la musique aujourd'hui est un média plus important que l'image a quelque chose de très juste. C'est une piste de travail intéressante car elle repose empiriquement sur ce que nous vivons tous. Pour en avoir discuter par mail avec Yves Michaud, l'art à l'état sonore et son développemennt est quelque chose qui, sans être spectaculaire (l'acousmatqiue est rarement spectaculaire par exemple) risque tout de même de marquer l'art de l'époque de façon plus importante que tu ne voudrais le croire. Bien des intellectuels, même à Ulm, y voit un changement de paradigme qui mérite un peu plus qu'une phrase de dédain ou une posture radicale-chic. On peut ronchonner, jouer au post-moderne finkelkrautien, mais une humeur fait-elle une pensée? Peut-être me fais-je des illusions sur les musiques que j'aime aujourd'hui mais je ne sais pas être cynique. <br /> Bien à toi
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